1
L’article qui suit propose l’analyse d’un dispositif qui s’écroule,
celui de la carte d’itinéraire. Ce faisant, il étudie la distinction
traditionnellement faite entre les cartes d’itinéraire et les cartes
topographiques. Autrement dit, entre une cartographie liée à une
pratique de mobilité et un référentiel cartographique dont le but ne
serait la mesure du monde (Harvey, 1980).
2
L’épistémologie de la cartographie est en grande partie fondée sur la
distinction entre catégories cartographiques successives, ou bien sur la
comparaison de cartes contemporaines et sur l’identification de leurs
différences où similitudes. Ces approches contraignent les analyses que
l’on en fait. Ainsi, une carte topographique ne peut qu’être
difficilement comparée à une carte routière, de même, une carte pensée
comme une représentation géométrique exacte ne sera que rarement
comparée à une représentation cavalière.
3
Si l’on peut proposer quelques éléments de réflexion sur l’histoire de
la discipline cartographique, ce sera ici en privilégiant une vision
large des pratiques cartographique et dans une logique comparatiste.
L’étude qui suit repose sur ce que l’on pourrait appeler, avec Matthew
Edney (Edney, 1993), un « mode » cartographique, c’est-à-dire
une forme cartographique déterminée par des éléments culturels, sociaux
et techniques. Ce mode est celui de la carte d’itinéraire. Il s’agira de
proposer une comparaison croisée entre cette cartographie d’itinéraire
(donc une forme de cartographie spécialisée) et le référentiel
cartographique.
4 On
définit ici comme carte d’itinéraire une carte qui représente un trajet
d’un point A vers un point B (Verdier, 2011). Ce type de carte, lié à
la pratique de la mobilité, isole non seulement un usage (puisque la
plupart du temps, elle ne peut servir à suivre qu’une seule route), mais
aussi un espace, dans la mesure où la représentation cartographique est
centrée sur l’itinéraire. C’est-à-dire sur une ligne plus que sur une
surface.
5
L’objet de cette communication est donc de proposer une réflexion sur la
tension existant entre représentation de la surface et représentation
de la ligne. On peut avancer que, dans une certaine mesure, cette
tension recoupe la distinction entre référentiel cartographique et
cartographie d’itinéraire. Le premier ayant, pour objet, la juste mesure
d’un territoire (Pelletier, 1987), la seconde, la juste mesure d’un
trajet.
6 Le
terme de référentiel cartographique désigne ici le levé à grande
échelle de la carte d’un territoire national, la carte de
référence : « la carte-mère », celle qui sera
utilisée pour faire toutes les autres cartes. Au contraire donc, on peut
considérer la carte d’itinéraire comme une carte thématique, une carte
dont les représentations sont circonscrites par le choix d’un thème.
Cela implique souvent un relèvement du niveau d’abstraction (Palsky,
1996).
7 La
comparaison s’organise de manière diachronique et croisée et concerne
les cartographies française et américaine. Cadre large donc, en
conséquence, analyse globale et sans aucun doute lacunaire. L’objet est
de se demander qu’elles sont les porosités, ou, au contraire, les
fractures, entre les deux types de cartographies précédemment
identifiés. Le propos n’est pas ici de discuter la question de l’accès
du cartographe à d’autres sources cartographiques. Il s’agit plutôt de
prendre le point de vue de l’utilisateur et de comparer l’espace qui lui
est donné à voir lorsqu’il consulte une carte de référence et l’espace
qui lui est donné à voir lorsqu’il consulte un itinéraire. On peut
résumer ce cadre théorique par le schéma suivant (fig. 1).
Figure : Cadre théorique de l'analyse
8Le
cadre national de la comparaison est illustré par la représentation en
deux blocs de couleurs différentes, qui s’étendent sur l’axe de la
profondeur, représentant le temps. La dimension verticale illustre les
deux modes étudiés, carte d’itinéraire en haut et référentiel
cartographique en bas, séparés par un voile plus sombre. Entre ces deux
types de cartes et ces deux cadres nationaux, des porosités où échanges
éventuels, variables selon les périodes, représentés ici par des flèches
(illustratives et non pas représentatives d’échanges effectifs).
9Nous
proposerons une vision de l’état du référentiel cartographique et sa
comparaison avec certaines cartes d’itinéraire. Ceci se fera en trois
temps, tout d’abord, un retour sur quelques exemples de la fin du 18ème siècle, puis une étude de la situation au début du 20ème
siècle et enfin un retour sur le contexte actuel. Ces jalons, qui
peuvent paraitre standardisés, recoupent, à un siècle d’intervalle, des
moments d’importants changements, tant dans nos pratiques de mobilités
que dans nos usages cartographiques.
10A
la fin du dix-huitième siècle, les situations française et américaine en
matière de cartographie sont très différentes. Dans ce cadre, et dans
celui d’une mobilité qui passe encore largement par des moyens
traditionnels, quels sont les cartes disponibles pour le voyageur et
quelles différences sémiologiques existent-ils entre les cartes de bases
disponibles nationalement et les cartes d’itinéraire réalisées aux
mêmes époques ?
L’itinéraire avant le référentiel aux Etats-Unis
11Aux Etats-Unis nouvellement indépendants, la fin du 18ème
siècle correspond à l’émergence d’une cartographie nationale, faites
par et pour les américains, dans laquelle se distinguent des traits
autochtones qui la différencient de la cartographie coloniale anglaise
(Schwartz, Ehrenberg, 1980). La première carte complète des Etats-Unis
faite par un américain (Abell Buell), New and Correct Map of the United States of America,
parait en 1784 (Ristow, 1977). Pour autant, la jeune nation américaine
est loin de posséder un référentiel cartographique national levé à
grande échelle, et la cartographie est en grande majorité une affaire
d’entreprises privées (Di Napoli-Marchetti, 2009).
12C’est au sein de ces initiatives de cartographie privée que se replace l’atlas routier A Survey of the Roads of the United States of America,
de Christopher Colles. Il s’agit du premier atlas routier publié aux
Etats-Unis, en 1789. Colles, émigré irlandais installé aux Etats-Unis
projette de cartographier quelques 3 000 kilomètres de routes sur
la côte Est américaine.
Figure : Détail de l’itinéraire entre New-York et Stratford
Christopher Colles, A Survey of the Roads of the United States of America (1789)
The Newberry Library
13 L’atlas se présente comme une succession de bandes (strip maps)
détaillant les trajets entre diverses villes de la côte américaine. Le
style de représentation laisse peu de place aux informations extérieures
à la pratique de la route, les informations relatives à la végétation
ou à la topographie sont ainsi peu détaillées, et ne sont en général
précisées que pour les alentours immédiats de l’itinéraire. Il en va de
même pour le réseau routier, qui n’est détaillé qu’au niveau des
intersections avec l’itinéraire principal. En revanche, le long de ce
dernier, de nombreuses informations susceptibles de servir le voyageur
sont indiquées. La déclaration d’intention, sur la seconde page de
l’atlas précise :
- 1 « Chaque page contient un segment d’environ 12 miles de route, à une échelle d’à peu près un pouce (...)
“each page containing a
delineation of near 12 miles of the road upon a scale of about one inch
and three quarters to the mile, and particularly specifying all the
cross roads and streams of water which intersect it, the names of the
most noted inhabitants of the houses contiguous to or in view of the
road; the churches and other public building; the taverns, blacksmith’s
shops, mills and every object which occurs to render it a useful and
entertaining work”.1
14Ainsi,
sur les 83 feuilles qui seront finalement publiées par Colles, quelques
cent-soixante tavernes sont indiquées (Ristow, 1961), pour répondre aux
attentes et aux besoins des voyageurs potentiels.
15La
première page de l’ouvrage indique une échelle graphique graduée en
miles. Sur les cartes elles-mêmes, les distances sont indiquées avec
précision par un système de points successifs indiquant à chaque mile,
le cumul de la distance parcourue depuis le point de départ. La
cartographie de Colles insiste donc sur le marquage des distances,
informations qui n’est alors pas commune sur les cartes. Cependant,
cette information n’est valable que pour un seul sens de parcours,
puisqu’il s’agit d’une distance cumulative. La carte est donc d’un usage
restreint, n’indiquant qu’une route et les distances dans un seul sens.
La publication s’avèrera d’ailleurs être un échec commercial. En effet,
peu d’ouvrages seront vendus et le projet initial ne sera jamais
terminé : sur les 3 000 miles de routes devant être
cartographiés au départ, seuls 1 000 le sont effectivement.
- 2 Cité par Ristow, (1961), p.54 : « Road surveys of Robert Erskine and Simeon de Witt, military geogr (...)
16
Mais la question que pose l’analyse de l’ouvrage de C Colles dans le
cadre de cet article est celle du rapport avec le référentiel
cartographique. Or, on le rappelle, il n’existe, au moment de la
publication, aucun référentiel de grande échelle couvrant le territoire
concerné. Colles effectue donc de nombreux relevés sur le terrain. Pour
autant, il aurait eu accès, pour une partie de son atlas, aux
« levés routiers de Robert Erskine et Simeon de Witt, géographes
militaires et ingénieur en chef successifs, faits sur ordre de
Washington pour l’armée continentale » (W. Griffin, 1954 : 154)2,
en 1780. Une partie des cartes publiées par C. Colles s’appuierait donc
sur cette première série de cartes d’exploration (traverses), tout en
fournissant une densité supérieure d’information (Ristow, 1961, op.
cit).
17Aussi,
on peut considérer que cette cartographie privée, spécifique et centrée
sur la pratique du voyage est plus riche et pertinente qu’une
cartographie officielle qui n'en est qu’à ses premiers balbutiements. En
tout état de cause, ces cartes proposent, avant même qu’une
cartographie topographique détaillée ne soit disponible, une vision fine
de cette partie du territoire américain, sur un mode hodologique.
Le legs de la carte de Cassini en France
18La
situation française est, on le sait, bien différente. La parution de la
carte de Cassini est en voie de se terminer à la fin du 18ème siècle. Se présentant en 180 feuilles, au 86 400ème,
cette carte est, faut-il le rappeler le premier levé systématique et à
grande échelle, d’un territoire national (Costa, Laurent, 2008) dans le
monde occidental. L’objet principal de la carte de Cassini avant tout de
donner une image fidèle du territoire national et de permettre la
localisation précise des localités. Le réseau routier est, à l’inverse,
peu détaillé et seules les routes principales sont indiquées (Pelletier,
1987 ; Arbellot, 1992).
19A la même période, on développe des guides routiers (Reverdy, 2006), dans le souci d’être utiles aux voyageurs en chemin. Le Guide Royal ou Dictionnaire Topographique des Grandes Routes de Paris aux villes, bourgs et abbayes du Royaume (que l’on appellera Guide Royal pour plus de commodité par la suite), de Louis Denis, paru en 1774, s’insère dans cette catégorie.
Figure : Route de Paris à Brie
Louis Denis, Guide Royal (1774)
Bibliothèque Nationale de France
20L’ouvrage
se présente comme un objet complet et complexe, en deux volumes,
contenant quarante-huit routes décrites textuellement. Certaines sont
cartographiées avec ajout de couleur au lavis (Arbellot, 1992). Le
format, d’environ 10 par 17 centimètres permet le transport de
l’ouvrage.
21Plus
qu’un guide routier au sens contemporain du terme, il s’agit avant tout
d’une liste des principales villes du royaume de France (l’auteur parle
d’un « dictionnaire » dans son avertissement au
lecteur). Les villes sont présentées et décrites selon un ordre
alphabétique et leur distance à Paris est indiquée en marge de la liste.
Dans le cas des villes les plus importantes, une représentation
cartographique de la route depuis Paris s’ajoute à la description. Cette
représentation est, de plus, associée à une table présentant
la succession des localités à traverser (et la distance entre
celles-ci), pour relier les deux villes concernées. Dans le premier
volume 89 pages sur 306 sont consacrées à des représentations
cartographiques, tandis que le second en contient 128 pour 392 pages.
22La représentation privilégiée est de type carte en bande (strip map).
La partie cartographiée correspond donc uniquement aux alentours
directs de la route. Par ailleurs, c’est généralement à la section de la
route la plus proche de la ville d’arrivée que se cantonne la
représentation cartographique. Sur ces cartes en bande et dans la
majorité des cas, les distances sont indiquées, pour l’itinéraire
principal, de manière régulière et cumulative (de lieue en lieue), à
partir de Paris. On constate toutefois une grande hétérogénéité de la
qualité des représentations cartographiques. Certaines cartes
n’indiquent pas les distances.
23
L’auteur s’appuie sur la Carte de Cassini (Arbellot, 1992). La
comparaison de la carte de la « Route de Paris à Brie », tirée
du Guide Royal, et de la feuille « 001 », de la Carte générale de la France, publiée en 1756 (représentant Paris et sa région) révèle, à ce titre, plusieurs similitudes.
24Tout
d’abord, la sémiologie générale entre les deux cartes est
remarquablement congruente. Les routes principales sont ainsi
représentées par une ligne double, les routes bordées d’arbres,
encadrées de pointillés. Les villes et les bourgs principaux sont
représentés par des symboles abstraits, en étendue, à l’exemple ici de
Brie-Comte-Robert (fig. 4). Les plus petits groupements ou bien
l’habitat dispersé sont représentés par des symboles figuratifs. Les
reliefs, peu précis (à l’image de la carte de Cassini) sont, indiqués
par hachures.
- 3 « Nouvel itinéraire général comprenant toutes les grandes routes et chemins », 1766.
- 4 « Carte itinéraire de la France divisée par gouvernements militaires et en ses provinces », 1774.
- 5 « Routes de Paris à Strasburg par Meaux, Château-Thierry, Chaalons, Nancy », 1772.
25En ce sens, les cartes proposées dans le Guide Royal reprennent finalement la sémiologie propre à la période. Les cartes de Desnos,3 de Bourgoin,4 ou encore de Le Rouge,5
contemporaines, répondent aux mêmes codifications graphiques. Plus que
la sémiologie utilisée dans les deux cartes, c’est alors le type
d’informations communes qui frappe le plus. La juxtaposition de deux
extraits de ces cartes concernant le même territoire donne un exemple
expressif de ces similitudes.
Figure : Vision fine des similitudes entre le Guide Royal et la Carte de Cassini
Gauche : Guide Royal, Route de Paris à Brie, détail. Droite : Carte générale de la France, feuille 001, détail.
26Bâtiments individuels, fermes isolées, moulins, allées forestières sont représentés avec le même sens du détail dans le Guide royal et dans son modèle, la carte de Cassini. Seule l’indication, par une flèche, du sens d’écoulement de la rivière Yeres dans le Guide Royal, constitue un réel ajout et marque un degré d’information spécifique
supérieur (Delano-Smith, 2007). On pourra noter ici, que les deux
routes reliant Solers à la « route de Provins », ont été
repassées du bleu dévolu généralement aux cours d’eau, une erreur liée
sans nul doute à leur tracé sinueux…
27 Enfin, le lien entre la carte de Cassini et le Guide Royal se
traduit par des échelles et des précisions variables entre les
différentes cartes qui composent le guide. Ainsi, si l’échelle est de
1 : 110 000, dans le cas de la route de Brie, elle tombe à
1 : 300 000 environ pour la route de Narbonne à Béziers, et à
1 : 450 000 pour la route de Quimper. Plus généralement,
toutes les cartes relatives à la Bretagne sont éditées à des échelles
inférieures à celles accompagnant les trajets en Ile de France. Les
feuilles des cartes de Cassini pour cette région ont en effet été
publiées postérieurement à l’édition du Guide Royal (après 1785
pour la Bretagne). Les sources étant plus disparates et moins précises,
les échelles, la sémiologie et le degré de précision des
représentations s’en ressentent.
28
On note cependant des éléments de différenciation entre les deux cartes.
Le premier réside dans la forme en bande des cartes accompagnant le
guide. Le second, dans l’ajout des distances le long de la route pour
certaines cartes (élément toutefois assez irrégulier comme nous l’avons
précisé).
29 Finalement, la comparaison de ces deux exemples de la fin du 18ème
siècle montre deux éléments. D’une part, elle rend compte de la place
spécifique de la cartographie d’itinéraire dans les histoires
cartographiques des deux pays. En effet, d’un côté, on pourrait
considérer la cartographie d’itinéraire comme innovation et comme
antécédence au référentiel et de l’autre, comme postérieure au
référentiel et comme réplique de la carte de base. D’autre part, cette
comparaison illustre la similarité du type d’atlas routier dont
pouvaient disposer des contemporains de chaque côté de l’Atlantique. La
perspective diachronique adoptée ici montre des logiques différentes
pour la période suivante.
30La
deuxième période étudiée par cet article correspond au début du
vingtième siècle. Cette époque voit de nouveaux développements pour la
cartographie, pour deux raisons : le développement de l’automobile
et le développement de nouvelles techniques cartographiques (Woodward,
1977). Cela correspond aussi à une période d’intense production de
cartes d’itinéraire. Les référentiels cartographiques nationaux sont,
par ailleurs, en construction aux Etats-Unis, et en refondation en
France où la carte type 1900 est lancée pour succéder à la carte
d’Etat-Major (Guilhot, 2005).
Le développement de la cartographie officielle et privée au début du 20ème siècle aux Etats-Unis
- 6 Walcott Charles D., 1904, « the Survey has finished the mapping, on more or less detailled scales, (...)
31Aux Etats-Unis, l’acte du congrès de 3 mars 1879 scelle la naissance de l’United States Geological Survey,
agence civile chargée notamment de la cartographie du territoire
national. Cela lance les levés à grande échelle de tout le territoire.
En 1904 « l’Agence a cartographié, à une échelle plus ou moins
détaillée, 26 pourcents de la superficie du pays en comptant l’Alaska et
31 pourcents sans compter l’Alaska 6 »
(Walcott, 1904 : 14). Ces premières cartes sont levées aux
1 :250 000 ou 1 : 125 000, avant que ne se généralisent, à
partir de 1894, les cartes au 1 : 62 500, ou 15 minutes series (Usery, Varanka, Finn, 2010).
32L’exemple
des éditions successives de la carte de Bordentown à cette échelle,
montre une complexification croissante des informations. Dans la
première édition (fig. 8), de 1885, on note l’importance de la
représentation des voies de communication. Les routes sont représentées
par de simples lignes noires tandis que le tracé des chemins de fer est
plus appuyé. Les cartes sont tirées en trichromie, réseau hydrographique
en bleu, éléments anthropiques en noir, hypsométrie et autres éléments
géographiques en marron. En revanche aucune distance n’y est indiquée,
ni, plus frappant, aucun bâtiment.
33Ces
derniers ne feront leur apparition que lors de l’édition suivante, en
1894. Cette version de la carte insiste moins sur les chemins de fer,
mais on y ajoute de nombreux toponymes ainsi que les limites
administratives. Enfin, la troisième édition, de 1896, marque l’ajout
d’une légende dans les marges droite et gauche de la carte.
Figure : USGS, première édition de la carte de Bordentown (1885)
1 : 62 500, détail
BNF
34Dans
le même temps, la demande de cartes pour des besoins de mobilité
grandit. En effet, une demande nouvelle émerge avec le développement de
l’automobile, comme nous l’avons déjà évoqué. Introduite aux Etats-Unis
en 1896, l’automobile fait apparaitre de nouvelles mobilités, plus
rapides, plus aléatoires et plus lointaines (Dupuy, 2014). Cependant, en
1904, les routes sont encore peu aptes à soutenir la circulation
automobile. La première étude sur l’état des routes du pays (Automobile Road Mileage Survey),
menée cette même année conclue que seules 7% des routes sont aménagées
pour la circulation automobile. Prendre la route représente une aventure
d’autant plus incertaine que la signalisation, de direction comme de
sécurité, est quasiment inexistante. A partir de 1910, quelques
associations pionnières commencent, à leur frais, l’installation de
cette dernière. En 1917, la firme cartographique Rand McNally commence à le faire à grande échelle (McKenzie, 1963).
35Les
cartes et les guides routiers qui paraissent à cette époque doivent
ainsi comporter une information dense et précise afin de permettre aux
utilisateurs de s’orienter sur des routes peu aménagées. Ce sont souvent
les descriptions textuelles qui jouent ce rôle (Akerman, 2006).
36Les Automobile Blue Book forment une série particulièrement représentative des guides alors proposés. Ces ouvrages, édités par l’Automobile Blue Book Company, entre 1901 et 1929 et en partenariat avec l’American Automobile Association à
partir de 1906 (Bauer, 2009), se présentent comme des guides routiers
d’échelle régionale, permettant de suivre de nombreux itinéraires. Pour
cela, chaque route est décrite de manière très détaillée,
tournant-par-tournant, une fois dans chaque sens. Cette description est
souvent associée à la représentation cartographique d’un itinéraire
(fig. 9).
37Ces
cartes, monochromes sont tirées en bleu dans les premières éditions,
puis en noir dans les éditions suivantes. Les représentations sont
réduites aux voies de circulation décrites, aux principales
intersections, à quelques éléments du réseau hydrographique, aux bourgs,
ainsi qu’aux zones urbanisées. Ces dernières sont représentées par un
ensemble de mailles rappelant le plan hippodamien de nombreuses villes
américaines (fig. 10). On constate la grande économie de figurés qui
caractérise ces cartes. Les données orographiques sont absentes et
l’espace blanc important. Par ailleurs, si les distances sont présentes
dans la feuille de route, les représentations cartographiques ne
contiennent ni échelle ni indication des distances.
Figure : Automobile Blue Book (1910)
The Newberry Library
38Contrairement aux itinéraires vus précédemment, il n’y a pas nécessairement, dans les cartes des Automobile Blue Books, adaptation entre le fond et la forme. Le cadre de la carte n’est pas une bande adaptant la représentation. Si la forme des strip maps
peut être utilisée dans certaines cartes, dans la majorité des cas, les
représentations utilisées font simplement l’économie de la topographie
en gardant le cadre traditionnel.
39La
consultation de diverses éditions de ces guides routiers laisse voir une
hésitation continuelle dans la recherche de la meilleure forme. Entre
deux éditions successives, l’organisation interne de l’ouvrage peut
ainsi être largement modifiée : mise en page, place des pages
publicitaires, description des itinéraires et représentations
cartographiques sont fréquemment remaniées. Ainsi, la version de 1906 du
volume 2 (New York et Canada) comprend environ 136 cartes,
dont 101 représentent des itinéraires (réparties dans les 782 pages du
guide). Les représentations cartographiques privilégiées sont donc les
itinéraires. A l’inverse, la version de 1916, contient 232 cartes,
réparties sur 1100 pages et seules deux représentent des itinéraires
(voir fig. 11). Dans les guides postérieurs aux années 1910, une
majorité de cartes est consacrée à des représentations régionales ou à
des plans urbains.
Figure : Nombre total
de cartes (colonne de gauche), comparé au nombre de cartes d'itinéraire
(colonne de droite), dans les éditions successives des Automobile Blue Book (volume 2, New York and Canada)
40Sans
donner d’explication définitive à cette disparition de la cartographie
d’itinéraire, on peut avancer qu’un des facteurs explicatifs est le
manque d’efficacité de ce type de représentation. En effet, la
description textuelle tournant-par-tournant de la route à suivre
concentre bien plus d’informations que la représentation cartographique.
On peut aussi arguer que la diffusion des panneaux de signalisation, en
permettant de situer les lieux les uns par rapport aux autres
directement à partir du terrain, fait perdre à la carte son rôle
d’opérateur cognitif d’orientation, dans le cadre d’un système qui
fonctionne avant tout sur la description textuelle de la route à suivre.
Tourisme automobile et cartographie d’itinéraire en France
41Au
tournant du siècle, une nouvelle révision du référentiel cartographique
est en cours en France. La carte d’Etat-Major, lancée en 1808, au
1 : 80 000, constitue une première révision de la carte de
Cassini (Pelletier, 1987). A la fin du 19ème siècle, c’est la Nouvelle Carte de France
qui est en construction, levée au 1 : 10 000 et publiée au
1 : 50 000. Le Ministère de l’Intérieur en publie une
réduction au 1 : 200 000.
Figure : Carte de France au 1 : 200 000 — (1892)
Feuille de Tarbes, détail, Service géographique de l’armée
BNF
42L’extrait
tiré de la feuille de Tarbes illustre le style des cartes du Ministère
de l’Intérieur. Trois éléments principaux peuvent être remarqués ici.
D’une part, le détail dans la représentation du relief par ombrage,
d’autre part, la densité des voies de communication. Six catégories sont
en effet distinguées, de la « route nationale » au « sentier ordinaire important ».
Pour autant les distances le long de ces routes ne sont pas indiquées.
Par ailleurs, dans la lignée des cartes de l’époque, les voies de
communication, ainsi que les bourgs et villages, sont représentées en
rouge.
43
Si, par le détail qu’elles offrent, ces cartes peuvent être utilisées
dans le cadre de mobilités individuelles, elles sont pourtant
concurrencées dès le début de l’automobile, par les productions
d’éditeurs privés, tel Taride ou Michelin. C’est à partir des premières
que Michelin prépare ses fameuses cartes routières (Ribeill, 1989).
L’existence d’un référentiel cartographique terminé et de cartes
routières réduites à partir de celui-ci semblent rendre caduque la
représentation par itinéraires (où, du moins, limite le développement de
ce type de cartes). Ainsi, les Annuaires de route, de
l’Automobile Club de France, ne contiennent pas de représentations
cartographiques d’itinéraire, mais des cartes générales ou des plans
urbains. Il en va de même pour les guides du Touring Club de France
édités à cette époque, ou encore pour les premiers Guides Michelin, dont
la parution commence en 1900. La pratique de la cartographie
d’itinéraire semble donc moins développée en France qu’aux Etats-Unis.
Pour autant, des cartes de ce type sont tout de même produites,
notamment autour des routes de montagnes, comme la route des Alpes ou la
route des Pyrénées (Bertho Lavenir, 1999). Ainsi, la carte de la route
des Pyrénées publiée en 1915 par les Chemins de fer du Midi.
Figure : La route des Pyrénées. Section de Biarritz à Bagnères-de-Luchon (1915)
BNF
Figure : La route des Pyrénées. Section de Biarritz à Bagnères-de-Luchon (1915)
Détail
BNF
44Ces
cartes jouent d’avantage le rôle d’illustration d’itinéraires proposés
que de guides d’itinéraire sur le terrain. On note la densité de la
représentation, la figuration détaillée du relief (indiqué par un
ombrage bistre), la trame viaire serrée (représentée en rouge), les
bourgs et les villes principales, représentés par un point ou bien en
étendue. Enfin, il n’y pas d’indication spécifique des distances le long
des axes de communication. La représentation cartographique reprend
ainsi pour beaucoup les codes de la carte topographique.
45Cependant,
deux éléments isolent l’usage d’un itinéraire. Tout d’abord, une coupe
de la route à suivre est placée au-dessus de la carte. Tout en
permettant de saisir les altitudes et l’évolution du relief le long
d’une route en particulier, cette coupe indique les distances entre les
principales localités et les principaux cols traversés par la route.
D’autre part, la route est mise en valeur par un figuré rouge plus
épais, qui permet de distinguer l’itinéraire proposé du reste du réseau
viaire.
46Ces
deux exemples révèlent des différences nationales importantes dans les
cartographies d’itinéraire. Les cartes américaines, donnent plus
d’importance à la représentation d’un réseau sans topographie, tandis
que les cartes produites en France, proposent un espace dans lequel le
cadre topographique reste d’importance capitale. La cartographie
d’itinéraire est, néanmoins, toujours distincte du référentiel
cartographique. La carte française prise en exemple, s’en inspire tout
en ajoutant des indications spécifiques. Les représentations des Automobile Blue Books, à l’inverse, sont plus sommaires et retranches des informations.
47Les référentiels cartographiques nationaux actuels ont été terminés en 1979 pour la France (au 25 000ème) et en 1991 pour les Etats-Unis (au 24 000ème).
Cependant, cette troisième partie opérera un glissement, qui délaissera
ces référentiels pour privilégier la notion de carte de
« référence ».
Référentiel cartographique et carte de référence
48On
peut considérer que la légitimité cartographique était du ressort des
Etats jusqu’à l’apparition de l’Internet. Les productions
cartographiques régaliennes servaient de source pour la réalisation des
autres cartes et même temps qu’elles entérinaient une image du
territoire. En ce sens, il s’agissait aussi de carte « de
base » (base map). Aujourd’hui, les institutions ne sont
plus les seules à fonder la « capacité à dire le territoire »
(Feyt, Lardon, 2010). Les dispositifs cartographiques nouveaux, tels
Google Maps, jouent aujourd’hui aussi ce rôle, devenant nos cartes de
référence (c’est-à-dire les plus utilisées) en même temps que nos
référentiels cartographiques.
49L’hypertextualité
qui caractérise ces cartes numériques permet des usages divers d’une
même application cartographique. Mais, un des usages privilégié de la
carte numérique est précisément la consultation d’itinéraires
(Grataloup, 2011 ; Thielmann 2007), rendue plus facile et plus
évidente par l’interactivité de ce genre de cartes.
- 7 Outil fournit par Google, qui permet de visualiser l’importance relative de diverses requêtes faite (...)
50Afin de cerner les principaux fournisseurs de cartes d’itinéraire contemporains, on peut utiliser les données fournies par Google Trend7.
Les trois principaux fournisseurs d’informations cartographiques en
lignes aux Etats-Unis étant Google, Mapquest et Yahoo, nous avons
comparé la fréquence des requêtes demandant un itinéraire en lien avec
chacun d’eux. La figure qui suit montre l’évolution de ces requêtes,
faites depuis les Etats-Unis (sur Google), contenant les termes Google itinerary (bleu), Mapquest itinerary (rouge), et Yahoo itinerary (jaune).
Figure 11 : Evolution de l'intérêt pour trois sites internet de recherche d'itinéraire aux Etats-Unis (2004-2015)
Fait avec Google Trend
- 8 http://maps.randmcnally.com/
- 9 http://www.routes.tomtom.com/
- 10 http://www.viamichelin.com/web/Routes
51Google Maps est le dispositif cartographique le plus utilisé pour rechercher un itinéraire, si l’on en croit les données de Google Trend. D’autres outils tels ceux proposés par RandMcNally,8 Tomtom,9 ou encore Michelin10 ne représentent qu’une portion congrue des requêtes, et n’ont ainsi pas été figuré ici.
52Le cadre français, présente une répartition plus uniforme des acteurs (toujours d’après Google Trends).
Les trois requêtes testées ici concernent l’association de
« Google », de « Michelin » et de
« Mappy » avec le terme « itinéraire ». Dans le cas
français, la recherche d’un itinéraire sur le moteur de recherche Google
passe plus souvent par Mappy, que par Google, ou par Via
Michelin ; comme on peut le voir sur la figure ci-dessous (fig.
16).
Figure 12 : Evolution de l'intérêt pour trois sites internet de recherche d'itinéraire en France (2004-2015)
Fait avec Google Trend
53L’importance relative de Mappy
en tant que fournisseur d’itinéraire en France doit pour autant être
contrebalancée par trois éléments. Le premier est que l’accès à Google
Maps peut se faire sans requête sur le moteur de recherche, l’onglet maps étant présent sur la page de Google quelle que soit la requête. Le second est l’importance des requêtes alliant « Google maps » et « Google map »
(sans « s »). Enfin, le troisième est que les analyses tirées
de Google Trends ne prennent pas en compte les usages sur téléphones
mobiles. Or, l’application Google Maps Navigation est disponible par
défaut sur le système d’exploitation Android. Autant d’éléments qui
laisseraient penser qu’une analyse avec Google Trends peut avoir
tendance à sous-évaluer les usages de Google Maps pour la consultation
d’itinéraire.
54
Cependant, les éléments liés à l’interactivité des applications
cartographiques et à la dématérialisation de l’information géographique,
amènent à de nouveaux questionnements liés au cadre transnational de
l’étude autant qu’à la distinction des modes cartographiques
précédemment établie. La comparaison transnationale entre les pratiques
cartographiques ne perd-elle pas de sa pertinence ? Comment étudier
les distinctions entre les catégories cartographiques dans le cadre de
cette nouvelle donne ?
L’itinéraire de la carte numérique
55La
consultation d’itinéraires sur des dispositifs cartographiques en ligne
se caractérise par son interactivité. Nous prendre ici l’exemple de
Google Maps pour en développer quelques-unes des spécificités. Cette
interactivité à deux conséquences.
56Tout
d’abord, il y a autant d’itinéraires spécifiques qu’il y a de demandes.
En effet, par définition, chaque requête génère un itinéraire. En
conséquence, cela génère une augmentation de la consultation de carte
d’itinéraire. Cette forme cartographique spécifique nous est donc plus
commune.
57De
plus, la représentation cartographique est multiforme. En effet, cet
itinéraire prend deux formes dans le cadre de la cartographie numérique.
Tout d’abord, lors de la consultation préalable d’un itinéraire, sur
appareil fixe ou bien sur appareil mobile.
58
Figure 13 : Google Maps, consultation de l’itinéraire New-York / Stratford, ordinateur fixe, juillet 2014
59La
carte est d’une grande précision concernant le réseau routier principal
et cette précision varie en fonction de l’échelle, c’est-à-dire du
niveau de zoom. Il en va de même pour les informations toponymiques et
pour celles relatives aux éléments naturels. Deux éléments cependant
restent stables, quelle que soit l’échelle : aucun relief n’est
représenté et les distances ne sont indiquées que pour l’itinéraire
demandé. Par ailleurs, l’information en temps réel permet d’indiquer la
qualité du trafic routier et les éventuels travaux ou accidents. La
distance n’est plus seulement métrique, mais temporelle.
60A
cette carte s’ajoute une feuille de route, déroulable, décrivant le
trajet à suivre pas-à-pas ainsi que la distance entre les étapes, la
distance totale et le temps de trajet nécessaire. Cette feuille de route
est généralement disponible conjointement à la représentation
cartographique. Enfin, la dernière version de Google Maps propose, par
défaut, plusieurs itinéraires potentiels en fonction des préférences de
l’utilisateur, ce qui n’était pas présent dans les versions précédentes.
61Ainsi,
cette carte ne diffère en rien de la représentation classique de
l’application cartographique Google Maps. La représentation de
l’itinéraire s’apparente à la mise en avant de l’itinéraire demandé sur
la carte de référence.
62En
tant que carte numérique, consultée sur un support fixe, cette carte ne
peut servir durant l’étape de mobilité. L’utilisateur peut cependant
choisir d’en imprimer la partie cartographique ou bien la partie
textuelle pour lui servir en route. L’expérience montre que la plupart
des utilisateurs impriment la partie textuelle, la carte n’étant
d’aucune utilité pratique, compte tenu de la taille du support
disponible le plus souvent pour l’impression personnelle : une
feuille A4.
- 11 Cette application, lancée en 2010 par Google pour concurrencer les systèmes GPS permet d’avoir accè (...)
63Dans
le cas où l’on consulte une carte d’itinéraire numérique sur appareil
mobile, un second type de visualisation est alors disponible. Cette
seconde version de la carte d’itinéraire contemporaine, est celle
disponible durant les phases de mobilité. L’on se servira ici de celle
disponible sur Android, avec l’application Google Maps Navigation beta.11
64Dans
ce cas de figure, la représentation cartographique utilisée correspond
au fond de carte Google, sur lequel est ajouté l’itinéraire spécifique,
d’un épais trait bleu. En plus de l’itinéraire cartographique, les
informations sur le trajet sont disponibles par hyperlien dans une
feuille de route consultable, distinctement de la carte. Les distances
sont indiquées de trois manières différentes : distance métrique
totale, distance métrique entre chaque bifurcation et distance-temps
totale. Par ailleurs, elles ne sont indiquées que pour l’itinéraire
concerné et centrées sur la position de l’individu, tout comme l’est la
représentation cartographique.
65Dans
cette carte d’itinéraire numérique et contemporaine, seules les
métriques diffèrent, suivant qu’elle est consultée en France ou aux
Etats-Unis. Les éléments liés au fond de carte et à la représentation de
l’itinéraire ne varient pas. Par ailleurs, l’itinéraire est représenté
sur une carte de base dont la sémiologie est identique à une carte ne
représentant pas d’itinéraire.
66Ainsi,
dans le cadre de la cartographie numérique, carte de base (où
référentiel cartographique) et carte d’itinéraire, connaissent un
rapprochement. Celui-ci est dû à la malléabilité des représentations
cartographiques, permise par l’aspect dynamique de la consultation des
cartes numériques. Ceci se double d’une atténuation des différences
nationales des cartes d’itinéraire, puisque ces représentations sont
diffusées via le réseau internet.
67Ainsi,
cet article a souhaité développer une perspective historique et
transnationale concernant la cartographie d’itinéraire et se termine par
l’évocation de dispositifs cartographiques issues de firmes privées et
mondialisées.
68Pour le 19ème
siècle, l’exemple français montre une cartographie d’itinéraire
spécifique, utilisant des médiums portatifs, mais reprenant largement
les informations et les codes issus des cartes topographiques
précédentes. L’exemple américain au contraire, montre le développement
d’un itinéraire routier qui précède la création d’un référentiel de
grande échelle. Dans les deux cas les cartes présentent un fort niveau
de généralisation, ne fournissant d’information que pour un trajet
spécifique. Au début du 20ème siècle, alors que l’automobile naissante
implique de nouveaux modes de déplacements, les formes cartographiques
de l’itinéraire se sont diversifiées. L’exemple américain montre une
représentation très généralisée, dans laquelle la description textuelle
du trajet est finalement l’objet central. En France, alors que le
référentiel cartographique est beaucoup plus avancé, l’exemple choisit
montre une forme cartographique moins centrée sur l’itinéraire et une
volonté d’insister sur les éléments géographiques naturels du
territoire. Enfin, la révolution numérique du 20ème siècle mène petit à petit au remplacement des cartes papiers par les cartes sur écrans au début du 21ème
siècle. La distinction entre les cartographies française et américaine
perd de sa pertinence. Les cartes sont également disponibles dans les
deux pays, via le réseau internet. On assiste à une certaine fusion des
catégories cartographiques.
69 Entre la fin du 17ème siècle et le début du 21ème siècle, comme nous avons pu le constater, les représentations cartographiques sont peu sujettes à changement (la carte du 21ème siècle fonctionne à ce titre, comme celle du 18ème,
en lien avec une « feuille de route »). C’est que, dès lors
que toute carte est potentiellement contenue dans tout support non
cartographique (ordinateur, téléphone…) et que toute carte contient
désormais potentiellement un itinéraire, le changement majeur ne réside
pas tant sur la carte, que, dans sa diffusion. Les aspects
technologiques, autant que techniques, favoriseraient donc le retour de
l’itinéraire dans la carte, menant ainsi à un usage réduit de la carte
routière, celle-là même qui a fondé nos pratiques du territoire au 20ème siècle.